Rencontre avec Mr Yéyé : YouTube et l’industrie musicale

Mr Yéyé est un projet musical hybride rock-électro français qui grandit petit à petit sur YouTube depuis 2012. Ses textes sont imprégnés de messages positifs bien qu’ils abordent des thèmes graves comme le viol ou la pédophilie.

 

 

Photo par Nathalie Richard

Avec près de 25 000 abonnés à l’heure actuelle, il a pu sortir son premier album « Cabaret noir » en février 2016 et vient de terminer sa seconde tournée dans toute la France.

Son chanteur et membre principal Yéyé Liquini a bien voulu répondre à nos questions concernant notamment sa relation à YouTube et son statut d’artiste.

Vous considérez-vous comme artiste ou YouTuber ?

Bah déjà je considère la plupart des YouTubers comme des artistes. La création vidéo, pour moi c’est un art. Mais dans mon cas YouTube est plutôt un moyen, pas vraiment une fin. En fait je me considère comme un musicien qui se sert des outils de son époque pour communiquer et partager son travail. YouTube fait partie de ces outils, et c’est celui que j’ai jugé être le plus pertinent pour mon projet. Mais non je ne suis pas « YouTuber », ma musique c’est pas sur YouTube qu’elle vit, ma musique elle vit quand les gens l’écoutent en allant au taf le matin, elle vit en concert. YouTube c’est juste une plateforme.

 

Comment faire pour se démarquer dans une industrie musicale de plus en plus hermétique ?

C’est pas compliqué en fait : si tu veux te démarquer dans l’industrie musicale, il faut prouver que tu sais faire des choses SANS l’industrie musicale. T’as pas besoin de maison de disque pour enregistrer tes morceaux et les faire écouter à des gens, t’as pas besoin de maison de disque pour faire des concerts, tout ce dont t’as besoin c’est d’un… public. Avec Mr Yéyé on vient de rentrer de notre deuxième tournée 100% indépendante, on a fait dix dates d’affilée, en moyenne on avait 150 personnes tous les soirs, avec un pic de 200 à Paris à la Boule Noire. Et maintenant qu’on a fait ça, il y a des gens de l’industrie musicale qui commencent à s’intéresser à nous, parce qu’ils se disent que si on a pu faire ça sans eux, avec eux ça peut peut-être aller encore plus loin. Et on leur ferme pas la porte, elle peut nous apporter plein de choses cette industrie. Mais vu qu’on sait faire des choses sans elle (car notre époque le permet), on n’est pas dépendant d’elle, on peut se permettre le luxe d’être exigeant sur ce qu’on nous propose.

 

Pourquoi après avoir autoproduit un premier disque avez-vous signé avec un label ? Regrettez-vous votre statut d’indépendant ?

Ah mais en fait on est toujours indépendants. Le contrat qu’on a signé avec M&O Music, pour notre premier album « Cabaret Noir », c’est juste un contrat de distribution, ça veut dire qu’en gros ils le placent dans les bacs et le distribuent sur toutes les plateformes digitales (Deezer, Spotify, iTunes, tout ça), mais c’est tout. C’est l’album qui est signé chez eux, pas Mr Yéyé. Tous les titres que je sors en ce moment sont 100% indés, et Mr Yéyé est toujours un projet indé. C’est important pour nous de garder le plus de contrôle possible sur ce qui nous arrive, et de bosser avec le moins de personnes possible, juste ce dont on a besoin pour avancer.

 

Vous avez mis en vente des T-Shirts où il était écrit « J’ai piraté l’album mais j’ai acheté le T-shirt, du coup ça va ». Le piratage n’est-il pas un danger pour les artistes émergeants ?

Bah en fait si tout le monde piratait sans jamais rien acheter, ouais ce serait un danger. Sauf que c’est pas le cas. Oui les ventes d’album ont chuté (au point qu’aujourd’hui il faut vendre 50 000 disques pour être Disque d’Or, contre 100 000 avant), mais les salles de concert et les festoches ont jamais été aussi remplies, et les gens sont toujours fiers d’acheter et de porter le t-shirt de leur groupe préféré. Du coup si tu bases tes revenus uniquement sur tes ventes d’album, ouais, tu risques d’être un peu ric-rac à la fin du mois. Mais si t’es malin et que tu t’adaptes à l’époque dans laquelle tu vis, bah en plus de l’album, tu proposes des produits dérivés, des bonus payants, et tu fais un max de concerts. C’est pour ça que perso je suis ouvertement pro-piratage. L’essentiel pour moi c’est qu’on écoute ce que je fais. Si t’as pas la thune de t’acheter mon CD, parce qu’on roule pas tous sur l’or, bah achète pas mon CD, t’inquiète, mais s’il te plait pirate le, me fais pas l’insulte de pas écouter ma musique alors que t’es fan ha ha. Et le jour où tu auras de la thune tu pourras le prendre, ou venir me voir en concert, ou acheter un t-shirt. En vrai osef,  mais juste : si tu aimes un projet, et que tu veux le soutenir, met de l’argent dedans. D’une façon ou d’une autre. En fait j’essaye de montrer que acheter un album c’est pas (ce n’est plus) la seule façon. Donc dédramatisons un peu le débat sur le piratage s’il vous plait. Surtout que, anecdote croustillante, j’ai beau être ouvertement pro-piratage, et mon public le sait, mon album est quand même celui qui s’est le mieux vendu du catalogue de mon label. Ça sert à rien de forcer les gens, laissons leur le choix, c’est beaucoup mieux.

 

Selon vous, aujourd’hui, pour se faire connaitre un artiste doit-il obligatoirement passer par les réseaux sociaux ?

Alors j’ai pas envie d’être catégorique parce que je suis persuadé que tout est possible et qu’il existe encore des contre-exemples. Mais globalement ouais, je pense que si tu veux maximiser tes chances de vivre un jour de ton art, se passer des réseaux sociaux c’est comme vouloir faire les courses un jeudi de l’Ascension. Tu peux pas. (testé et approuvé, je me fais avoir TOUS les jeudis de l’Ascension putain, et nan tu peux pas, c’est juste fermé) Et en soi c’est vachement cool, parce que les réseaux sociaux, c’est une façon de partager directement ton travail (et tes news, tout ça) avec ton public, sans personne pour filtrer. Tu peux faire tout ça toi-même, et c’est gratuit en plus. Après on est tous plus ou moins adepte du délire, il y a ceux comme moi qui tweetent 100 trucs par jour, et ceux qui se contentent d’une grosse info de temps en temps, bon. Il semblerait qu’être très actif sur les réseaux soit plus efficace pour accroître son audience, pas mal d’études le prouvent, après chacun fait ce qu’il veut, je comprends qu’on ait de l’urticaire quand on utilise Facebook par exemple. Mais dans tous les cas, soit tu mets les clés de ton projet entre les mains d’une maison de disque (qui de toute façon utilisera les réseaux sociaux pour toi), soit t’as conscience que les maisons de disque elles en ont rien à foutre de toi et tu gères tes réseaux sociaux tout seul. Pour faire tes bails dans ton coin. Et faire grandir ton projet. Et au cas où t’aurais pas vu où je veux en venir, je te laisse relire la deuxième question de l’interview.

 

Est-ce plus difficile d’être pris au sérieux par des professionnels lorsqu’on vient de YouTube ?

Franchement nan, enfin à part le patron du bar du coin qui te demande si t’as un MySpace où il pourrait écouter tes sons, la plupart des gens sérieux qu’on rencontre ont conscience qu’internet c’est assez puissant. Mais en soi ça change pas grand-chose, c’est comme partout : faut faire ses preuves. Que tu sois un musicien sur YouTube ou pas, si personne ne vient à tes concerts, les pros en auront rien à foutre de toi, tu les intéresseras. Par contre si tu remplis des salles, que tu viennes de YouTube ou pas, ils s’en foutent : tu remplis des salles. Tu génères de l’argent. Et ça ils aiment bien. Donc perso j’ai pas senti de mépris ou de manque de prise au sérieux de la part du monde pro. Limite au contraire. La plupart ont du mal à comprendre internet, c’est un media qui les dépasse un peu, mais ils savent tous que c’est l’avenir. Du coup les artistes qui savent s’en servir, ça leur plait.

 

Pour vous, YouTube est-il un tremplin ou une nouvelle façon de vivre de sa musique ?

Pour moi YouTube est plusieurs choses en même temps, c’est à la fois l’endroit où les gens peuvent principalement profiter de mon taf (mes morceaux, mes clips, tout ça) mais c’est aussi l’endroit où je communique. C’est vraiment ma vitrine, tout est dessus. Parce que d’un côté bah c’est quand même le plus gros site de streaming musical du monde (rien que ça) donc autant vous dire que c’est stupide en 2016 de pas avoir TOUS ses morceaux de dispo sur YouTube (oui plusieurs artistes sont visés par cette phrase, sérieux les gars réagissez). Et de l’autre quand je fais un concert à tel endroit, ou quand je sors un nouvel album, j’ai juste à sortir une vidéo dans laquelle je l’annonce, et je sais que mon public la verra. Promo gratuite.

 

Votre proximité avec votre public est visiblement un atout, pensez-vous risquer de la perdre en gagnant en notoriété ?

Pour moi la proximité dépend pas du nombre de gens qui te suivent. T’as des tout petits groupes locaux qui ramènent 15 personnes à leurs concerts et qui prennent même pas la peine de répondre à leurs messages sur Facebook, par exemple. Il y a vraiment des artistes qui s’en foutent un peu de leur public, qui communiquent pas tant que ça avec lui, et ça dépend pas de sa taille. Et je dis pas ça comme si c’était pas bien hein, comme je l’ai dit chacun son truc, je peux tout à fait comprendre qu’on ait pas envie de faire ce que je fais. Mais perso j’ai commencé mon projet à zéro, personne me suivait, je répondais à tous les mails, je discutais avec tout le monde. Aujourd’hui ils sont 25 000 à suivre l’avancée du truc sur YouTube, et je continue de le faire sans que ce soit contraignant d’aucune façon. Donc non, j’ai pas peur de perdre cette proximité avec les gens, parce que c’est quelque chose d’évident pour moi. Je le fais naturellement, et j’y tiens. Donc ça partira pas.

 

A quelles difficultés faites-vous face vous et votre groupe à ce stade de développement ?

Bah en vrai il n’y en a pas tant que ça. Les choses avancent à leur rythme, la chaîne grandit tranquillou, le premier album s’est bien vendu, les salles se remplissent bien… nan franchement on est contents, c’est prometteur. Tant qu’on continue de sortir des morceaux sur internet, tant que des gens continuent de découvrir le projet, tout va bien, la machine avance. Mr Yéyé c’est une croissance exponentielle depuis ses débuts, ça double tous les ans. Alors bon, pas de quoi paniquer. Surtout qu’il y a quelques mains extérieures qui se tendent vers nous depuis quelques temps, et qui pourront peut-être nous ouvrir quelques portes, alors on verra bien. On est sereins, on fait les choses dans l’ordre, et on reste concentré sur l’essentiel : faire de la musique.

 

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à quelqu’un qui veut se lancer dans la musique ? Doit-il impérativement ouvrir une chaine YouTube ?

Mmh alors là c’est la partie un peu compliquée, parce que j’ai pas la science infuse. La voie de YouTube marche pas trop mal pour moi, parce qu’elle me convient. Pour autant, peut-elle convenir à tout le monde ? En vrai je veux surtout pas paraître donneur de leçons, « fais ci fais ça » : trouve TA façon de communiquer, trouve TA façon de distribuer ta musique aux gens, trouve TES solutions. On est à une époque où 100 groupes inconnus sortent un album tous les jours, et ils se noient tous les uns les autres. Je pense que se demander comment faire les choses différemment, comment communiquer différemment, c’est un bon début. Si tu fais comme tous les autres, ton album va probablement être oublié comme tous les autres. Du coup arrête peut-être de faire des albums. Organise tes morceaux autrement. Ou pas. Mais pense différemment. On est sur un media très récent, je pense qu’il y a encore énormément de choses qui restent à prouver, beaucoup trop de choses pour que je me permette de dire : « oui, tu dois impérativement ouvrir une chaîne YouTube et sortir une compo tous les mois pour réussir dans la musique. » En vrai j’en sais rien. Du coup mon vrai conseil c’est : sois débrouillard. N’attend rien de personne. Tu veux enregistrer un morceau ? Enregistre un morceau. T’as pas le matos pour ? Sérieux pirate un logiciel et débourse 200€ dans un micro et une carte son et hop tu l’as ton matos (et si t’as pas de thunes fais deux soirées de babysitting et hop). Tu veux faire un clip ? Fais un clip, avec un smartphone comme caméra s’il le faut. Lance-toi. Bouscule le monde. Personne ne viendra te chercher, donc si tu veux faire des trucs, c’est à toi de mettre les mains dans le cambouis. Voilà mon conseil : bouge-toi putain.

Propos recueillis par THEODOROU Valentine, GUILLEE Léa et BRASSIERE Chloé.

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