Quand Britney Spears devient une héroïne littéraire

À travers l’histoire un peu folle d’une mission secrète baptisée « Poisson d’avril », Jean Rolin nous livre un récit entre fiction et réalité, sur fond d’une Los Angeles désabusée.

Dans son dernier roman, Le Ravissement de Britney Spears, l’écrivain et journaliste Jean Rolin, dont on reconnaît certains traits derrière son narrateur Rothko, est exilé au Tadjikistan quand il nous  raconte la mission rocambolesque qui lui a été confiée par les services secrets français quelques mois auparavant, à savoir la surveillance discrète de la star américaine Britney Spears sur laquelle un groupuscule islamiste ferait peser des menaces d’enlèvement.

Tous les ressorts du roman policier sont exploités dans ce récit à la fois drôle et désabusé des mésaventures de Rothko à Los Angeles. Pourtant, l’œuvre de Rolin n’est pas un simple polar. Ce n’est pas non plus un livre dans lequel on apprendrait beaucoup de choses sur l’intimité de la chanteuse (tout de même pas choisie au hasard, ultime pop star, chair à canon des paparazzi, pour laquelle le public éprouve une fascination sans bornes). Non. A travers Britney Spears, c’est un véritable essai sur la ville de Los Angeles que nous offre Jean Rolin.

« Une ville plus attachée à ses chiens qu’à ses humains »

Interviewé par la critique Nelly Kapriélian dans le n°820 des Inrocks , l’auteur confie : « Tous mes livres commencent par le choix et la définition d’un territoire, de manière quasi militaire ou urbanistique : je me procure des plans, de plus en plus détaillés, j’étudie des itinéraires. On m’avait toujours présenté cette ville comme la seule où je serais incapable de faire quoi que ce soit, car c’est la ville de l’automobile et que, ne sachant pas conduire, je serais dans l’incapacité de m’y déplacer. […] Ma volonté première, c’était donc de trouver ma place dans un territoire dit “hostile”. Car si en général j’aime fréquenter des endroits malcommodes, là on me le présentait comme particulièrement handicapant.»

Los Angeles, la ville des anges, « une ville plus attachée à ses chiens qu’à ses humains » devient alors un personnage à part entière du roman. A ce titre, Rolin en offre un portrait complexe, épidermique et réaliste. Elle apparaît comme une vaste étendue urbaine à l’architecture bizarre, sans cesse en mouvement, sillonnée par les courses folles des voitures aux vitres teintées.

L’écriture est ici, à l’image du narrateur, empreinte d’une extrême liberté de circulation. Les précisions de Rolin, dans les noms de quartiers notamment, ancrent le récit de cette ville dans une réalité transpirante n’ayant plus grand-chose à voir avec le mythe du rêve hollywoodien.

C’est ainsi que l’étrangeté de Los Angeles, radicale et déroutante, nous plonge dans un reportage romanesque moderne totalement décalé dans une réalité qui dépasse la fiction, et une fiction qui pénètre la réalité, à l’image, finalement, du berceau de Hollywood. Quant à cette enquête complètement saugrenue dont la vacuité latente nous déstabilise au fil des pages en suivant le personnage de Rothko, excellent anti-héros de roman noir, elle parvient à nous tenir en haleine jusqu’au dénouement… Ce sentiment est tout simplement jubilatoire.

Ryme Sadik

Le Ravissement de Britney Spears (P.O.L), Août 2011, 288 pages, 17 €

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