« Le regard des autres » : dialogue avec Safwan J. Hadje

A l’heure où sa prose s’épanouit, il nous raconte son parcours hors du commun et comment le rap de banlieue a bouleversé sa bulle. Écrivain en herbe, il fait du rythme une part entière de sa vie. A ne pas manquer…

Parle moi de ta famille, et de ton adolescence.

Je suis né à Paris en 1992, d’un père syrien et d’une mère kabyle d’Algérie. Mon père était réfugié politique, il a fui le régime du Parti Baas à la fin des années 60, juste avant le coup d’état d’ Hafez Al Assad. Ma mère est née à Paris, suite à l’arrivée de ses parents en France ( à Aubervilliers ) dans les années 50. Mon grand-père travaillait à la mairie de sa ville, et ma grand mère est restée au foyer, pour s’occuper de sa grande famille.
J’ai donc grandi à Paris, d’abord dans le 6ème arrondissement, puis vers la Porte de Vanves, derrière Montparnasse.
J’ai beau hériter d’une culture arabo-musulmane, mes parents ne m’ont jamais orienté vers l’Islam. Je m’y suis intéressé par moi-même, mais suis resté non-pratiquant et surtout muet face aux injonctions d’amis ou de proches pour que je vienne à la mosquée. D’ailleurs, mon oncle est imam à Aubervilliers, je ne sais pas ce qu’il ressent suite aux évènements qui ont touché Paris, sûrement de la tristesse, et de la peur comme beaucoup.

Au moment du collège, j’ai fui à mon tour, pour d’autres raisons, et vers  la Normandie. J’y suis resté jusqu’à l’obtention de mon baccalauréat en 2009.

Après, retour à Paname pour la grande Litanie : Licence, Master, Doctorat, Chômage.

C’était pas aussi simple que ça, en fait. J’ai tenté une licence d’histoire… pas ma voie, puis Sciences Sociales! Parallèlement j’ai bossé partout où je pouvais pour compléter la bourse d’étude. Le soir chez moi, j’écrivais pour mes cours, ou pour moi. Les week-ends, je bougeais dans les squats, partout où ça rappait librement, partout où la parole servait les gens pour se rencontrer, débattre, et rompre la solitude du texte.
Voilà, j’ai tenté un master d’Anthropologie, je suis resté sur le carreau d’une institution froide et innocente. Je suis coupable de mon propre évincement. Je ne les supportais plus.

Bref, maintenant je suis assistant d’éducation dans mon ancien lycée.  J’y anime un atelier d’écriture ( rap-slam ), dans le cadre d’une diffusion radio en janvier. On doit tenir la boutique 4 fois 30 minutes. J’ai commencé à rédiger un journal de bord de ces ateliers. Ça me plait beaucoup. Ça a décomplexé mon rapport au truc, et je peux enfin rapper ailleurs, seul chez moi ou ivre dans les squats. Ça a posé les choses noir sur blanc. On écrit ensemble, avec des jeunes aux horizons et aux cheminements différents. Chacun vient parachuter ses idées sur un thème qui nous lie. La jeunesse, la peur, l’avenir, la pauvreté, la politique…etc..  C’est rafraîchissant et ça nous cultive tous.

En parlant de rap, dis moi ce que tu ressens par rapport à ce « rap de banlieue ».

Le rap, c’est un cri. T’as beau n’avoir aucune envie de te livrer, mais l’envie de faire du sexe et de la drogue ton créneau, tu te racontes toi. En disant  » je « , tu mets ta personne en acte et en parole./ Le rap,c’est la poésie en mouvement. Elle n’a aucune forme fixe, donc aucune limite.  C’est pour ça qu’elle fait peur aux politiques. C’est pour ça qu’on la gère à coup de grosses sorties effrayantes qui écrasent toute une population du hip hop et pousse certains mcs au retranchement ( dans les squats par exemple ), qu’ils finissent parfois par revendiquer comme un geste politique.

Mon rap c’est l’expression de la diaspora.  La mienne, mon abandon dans cette société où je ne vois aucun de mes héros d’enfance participer au festin – entre les hommes politiques du monde arabe, ou les combattants contre la ségrégation aux Etats-Unis, je vois à peine l’ombre des poètes se dessiner.

En fait, je ne vois que trouble ; bientôt de ma position, on ne verra plus aucune tête qui dépasse. L’égalité par le bas me fait peur. Le rap est là pour dynamiser voire dynamiter les mentalités. Il est là pour une gymnastique qu’on connait tous, le verbe, la rime, mais il est aussi là pour crier. Ce n’est pas un outil politique. c’est une politique en soi. Mener sa vie de manière rap, ce serait allier la poésie et le ryhtme pour contrer l’uniforme de la basse cour, et les discussions de comptoir…

J’essaye dans l’écriture de retrouver des moments perdus de l’existence, ou encore, des instants précieux, dont on se rappelle, et qu’on garde enfouis près du coeur. Une nuit seule à écrire, au delà du reliquat, subsiste une idée, un élan, une vie entière à recommencer ce procédé d’écriture. « Lis » a dit Gabriel au prophète Muhamad. Un mot  a suffi.  »Lire c’est porter le texte d’un autre en gestation » On écrit soi, mais on écrit d’abord l’outrage de l’autre. On est soi quand on s’est confronté à la multitude d’autres soi. Le rap, c’est un million de manière  » d’être au monde », c’est accepter d’être soi et accorder du temps à son désir.

C’est encore cela qui fait peur aux décrieurs du genre. Le rap, c’est la mauvaise graine. Et tant mieux. C »est au moins celle qui pousse le mieux!

– Quel est ton ressenti par rapport aux événements du 13 novembre 2015 ?

D’abord il  y a eu, comme chez tout le monde ce soir-là, la peur, la panique d’être à Paris et de devoir rentrer jusqu’à chez soi dans cette ambiance effroyable. Coincé dans un café du 20ème, mon quartier, tout le monde s’épuisait à boire, s’échanger d’affreuses nouvelles, et pleurer… peu d’entres nous avaient le sourire… La gêne était palpable dans le regard de ceux qui ne se connaissaient pas. Ce soir là, je n’ai pas pensé.

Après quelques jours, je suis sorti de mon silence, et j’ai publié un texte sur Facebook, dans lequel je m’insurgeais contre je ne sais quoi. Peut-être contre le feu, j’ai dû employer le feu.   En voici le contenu :

Je vous remercie mes bons amis qui crient à la moquerie, au complot, à la supercherie sioniste et j’en passe, mais vous ne saisissez pas grand chose, et comme vous êtes souvent bavards, les gens qui ne s’informent pas vous écoutent et vous croient. Vous êtes lâches, et ne défendez ni la douleur palestinienne, ni celle d’aucun autre peuple. Vous n’êtes pas non plus des ennemis de l’impérialisme. Mais vous trainez la patte derrière eux.
!!! NON !!! Les groupes armés ( Daesh, E.I, Shababs… ) ne sont pas nés au Pentagone ou sur la Colline de Sion.
Il y a mille raisons pour lesquelles l’ on pourrait légitiment mener une guerre à l’Occident… Quelles sont-elles?
Ce ne sont pas 200 ans de croisade ? Ce n’est pas la création d’Israël, ou le piétinement des droits de l’Homme en Palestine ? Ce ne sont pas les frontières dessinées depuis Londres ou Paris il y a un siècle, ce n’est pas, enfin, les invasions américaines pour la richesse de nos sols ? ni les dictatures pro-occidentales, ni le contrôle de la pensée par des institutions Coca Cola et bolchéviques…?
C’est tout ceci, amené et bercé par un Autre civilisé qui nous éduque pour la sécurité de son nom. La civilisation est gourmande d’affrontement factice avec le barbare. Née d’un mythe, elle tue des mythes. Mobilisant l’opinion de tous, ou au moins le débat, elle saura nous déshériter dans un dernier élan salvateur…
Je ne l’attends pas, je ne suis pas le fils de Marianne, ma mère s’appelle Nadra. Elle aussi est née à Paris, comme la Révolution Française et les Lumières, mais elle n’a pas mis le feu au Monde pour faire manger son fils.
Nous sommes un Orient sans visage, cantonné à crier Allah O Akbar dans des vidéos d’attentats, comme les Allemands à crier « Heil » dans les mauvais films sur l’Holocauste…

Par Léa RIQUET, Solène DE PERCIN et Fatoumata KALO

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